“Les Chatouilles” : un spectacle exceptionnel et indispensable
© Claude Pocobene
Dix ans après sa création au Festival d’Avignon, Andréa Bescond revient poser ses valises au Théâtre de l’Atelier à Paris pour ce seul en scène éblouissant de talent et de fulgurance dramatique. Un Molière en 2016 et un César pour l’adaptation cinématographique n’ont pas calmé les ardeurs de l’interprète, autrice et réalisatrice. Elle revient aujourd’hui avec encore plus de maturité et d’énergie, pour nous embarquer dans son histoire familiale dévastatrice, mais sauvée par la danse. À voir d’urgence.
Petite fille

© Claude Pocobene
Andréa Bescond, danseuse et comédienne, déboule sur le plateau avec l’énergie d’une bombe à la chevelure blonde et au corps musclé. L’histoire qu’elle nous raconte plonge aux prémices de son enfance dans une ville du sud de la France, alors que petite fille elle se laisse charmer par un ami de ses parents qui l’initie à des jeux dangereux dans la salle de bain de la maison durant un barbecue estival. Odette, c’est son prénom, est un poids plume avec un corps de ballerine, et ne fait pas le poids face au monsieur bienveillant qui entraîne les gamins dans un club de judo. La séduction, la perversité, le viol, le vol d’une enfance innocente viendront assombrir les jeunes années de la petite fille qui plongera dans une dépression adolescente, avant de poursuivre ensuite au Conservatoire de Paris l’apprentissage de la danse.
“Il n’y a pas de quoi fouetter un chat”

© Claude Pocobene
Ce que nous raconte ce spectacle, avec une incroyable puissance dramatique, c’est la solitude d’une enfant face au déni de toute une famille, père et mère aux abonnés absents, incapables de déceler derrière le mutisme, la paralysie, le silences et la révolte d’une enfant les signes d’un traumatisme répétitif, d’une intense violence physique et psychique qui conduiront à la détestation de soi-même. “Il n’a pas de quoi fouetter un chat” lui lancera sa mère devant la psychiatre qui les auditionnera, alors qu’Odette raconte cette violence sexuelle et que sa mère la fait passer pour une menteuse, une folle. Andréa Bescond, cheveux noués d’une athlète, en jean et tee-shirt noirs, traverse les espaces de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte avec l’énergie d’une incendiaire. Avec son corps mouvant de danseuse, tantôt terrienne, tantôt aquatique, tantôt aérienne, elle compose tous les personnages hauts en couleurs de cette jeunesse fragmentée entre le réel, la peur, et le rêve et danse magnifiquement sa colère.
Sous la protection de Noureev

© Claude Pocobene
Souvent très drôle, spirituel, cocasse, surprenant, le récit, dont l’auteur interprète tous les personnages, dépeint avec la même énergie, le même brio, la préparation d’un gala de danse classique avec l’inénarrable professeur et sa bande de petits rats en tutu rose pour les filles et collant bleu pour les quelques garçons, les virées alcoolisées et cocaïnées d’une compagnie de danse jazz qui sillonne la France ou les États-Unis, où le dialogue d’Odette avec Noureev dans sa minuscule chambre au pensionnat du Conservatoire. Mise en scène subtilement par Eric Métayer, dans de très belles lumières de Stéphane Fritsch, Andréa Bescond passe d’un état à un autre, d’une situation à une autre, avec une dextérité hallucinante et sans reprendre son souffle. Dire que le spectacle est rodé est un euphémisme, tant ce qui se joue là prend une nouvelle ampleur dans notre époque de dénonciation des abus sexuels. Jusqu’au procès qu’elle interprète magistralement, elle parvient à nous éblouir par son interprétation et à nous terrasser d’émotion. L’ascenseur émotionnel fait du yoyo, mais l’interprète sur le plateau est un volcan à elle toute seule. Vous l’aurez compris, ce spectacle puissant est surtout indispensable à tous.
Hélène Kuttner
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